Les prises de songes

Le Blog de Nicolas Guadagno compositeur et réalisateur sonore

9# La musique de Félix

Publié par Nicolas Guadagno

Questions à Nicolas Guadagno

A propos des musiques du spectacle Félix de l’Amin Théâtre.

 

 

Compositeur et créateur sonore, Nicolas Guadagno collabore étroitement avec le metteur en scène Christophe Laluque depuis 1995. Il signe les musiques de tous les spectacles de la compagnie l’Amin Théâtre.

 

Quel a été le cheminement de la composition musicale ?

Avant d’entamer une création, je me pose toujours les questions : quelle musique, pourquoi, quand et comment ?

Les réponses arrivent progressivement au fur et à mesure du travail de lectures et d’improvisations avec toute l’équipe

Sur le plateau, je diffuse mes ébauches sonores, parfois je joue en direct. Sous la direction du metteur en scène, on improvise, on cherche, on expérimente, on rebondit sur une idée qui en amène une autre. On repère les scènes à musicaliser ou au contraire celles qui doivent rester silencieuses.
Peu à peu, des scènes se dessinent, des tableaux apparaissent, des moments de théâtre prennent vie et indiquent la direction musicale à suivre.
Pour ce spectacle, j’ai composé un thème intimiste sur un piano préparé. Les sonorités atypiques du piano préparé (feutrine sur les marteaux, cordes frappées, frottées, résonance de la table d’harmonie, grincements…) amènent une dimension singulière attachante et symbolisent assez bien, je trouve, la palette de sentiments de ce huis-clos du foyer familial avec tout ce qu’il comporte de secrets et de non-dits. Le thème est ensuite décliné de façon plus onirique et dramatique (orchestre de cordes, percussions épiques…) pour les scènes vertigineuses de Félix, personnage rebelle, épris de liberté et à l’imaginaire foisonnant.

 

Quel est le rôle de la musique dans le spectacle ?

Le travail avec Christophe Laluque est assez particulier dans le sens où la poésie du texte prime avant tout autre chose. A l’instar des comédiens qui n’incarnent pas un rôle au sens propre mais sont des « passeurs poétiques », la musique est un vecteur sensoriel au service du spectacle. Elle n'a donc pas un rôle esthétique à part entière mais doit s’imbriquer dans un tout (texte, comédiens, décor, lumières, vidéo, costumes) pour former un objet impalpable qui résonne comme des images mentales. Idem pour les sons où je n’utilise presque jamais de sons réalistes pour illustrer un décor sonore (bourdonnement d’une ville, forêt, jardin, intérieur etc.). Je préfère ne garder que le trait poétique et significatif des sensations que provoquent ces lieux dans l’imaginaire des spectateurs.

La mise en scène de Christophe Laluque tend beaucoup vers une démarche cinématographique. D’ailleurs en répétition, nous utilisons un langage de cinéma : nous parlons de plan large, de zoom, de flou, de fondu enchainé, d’ellipse, de sons diégétiques ou extra-diégétiques…

La musique permet de suggérer ces effets et particulièrement sur ce spectacle où l’idée était de brouiller l’espace spatio-temporel afin d’appréhender cette pièce non pas comme une succession de scènes disparates mais comme un long plan séquence sans cesse en mouvement.

Ce rapprochement des genres entre théâtre et cinéma me plait assez et les ambitions artistiques sont communes. A la différence prés qu’au cinéma, la musique est rajoutée après coup. Les acteurs ont joué, les séquences sont tournées et le calage et mixage de la musique se fait en studio. Au théâtre, la bande son étant diffusée en live, cela demande un travail délicat du régisseur du son, mais aussi du comédien qui doit s’approprier la musique de façon organique. Il doit la prendre en compte pour ne faire qu’un, parfois même retenir sa puissance de jeu pour éviter une redondance d’intentions ou un trop plein de sentiments.

 

L’usage de micro pour les comédiens ?

Sur tous les spectacles de la compagnie, les comédiens sont « microtés » (micro HF dissimulé). Je dis bien microté et non sonorisé. Au théâtre, les comédiens n’ont en général pas besoin d’être sonorisé, on les entend très bien sans micro. L’usage des micro est donc purement esthétique, il permet un rééquilibrage sonore entre la bande son diffusée sur les enceintes et le son direct des voix des comédiens. Il s’agit donc d’un léger renfort sonore qui permet à la musique de mieux s’imbriquer dans le texte et aux comédiens d’avoir une plus grande amplitude de jeu. Sur ces micro, j’applique ponctuellement des effets (reverb, delay, écho…) qui ouvrent le champ sonore et facilitent les images mentales recherchées. Cela fait maintenant plusieurs années avec l’Amin théâtre que nous utilisons ces micro HF, ils font partis intégrante de l’objet poétique que nous proposons. D’ailleurs, la plupart du temps, les spectateurs ne se rendent pas compte que les comédiens sont amplifiés, dès les premières secondes du spectacle, ils intègrent ce confort sonore et sont embarqués dans l’histoire.

 

Il y a t-il une spécificité à composer pour le jeune public ?

Pour ma part, je ne pense pas. On a bien sûr conscience de la responsabilité de ce que l’on transmet artistiquement aux jeunes, mais une fois ce postulat posé, j’avoue ne pas faire de différence de genre. Particulièrement sur les spectacles de l’Amin Théâtre où la notion de « tout public à partir de… » est importante. Les représentations sont souvent intergénérationnelles et l’on s’applique à ce que les adultes ne soient pas de simple accompagnant et profitent également du spectacle. Simplement, j’ai constaté que contrairement à beaucoup d’adultes, les enfants perçoivent les musiques et les sons de façon instinctive. Ils n’intellectualisent pas encore les choses (et ça me convient très bien). C’est pourquoi, même si la bande son d’un spectacle fait l’objet d’une réflexion de fond, je privilégie toujours le ressenti direct à l’intellect.

Je m’exprime musicalement de manière spontanée sans me poser trop de questions. Je ne m’interdis rien, notamment lors des séances d’improvisations. Je n’hésite pas à prendre une guitare électrique saturée ou un set de sons techno si je sens que ça peut servir le spectacle. Sur un ancien spectacle jeune public (à partir de 7 ans), j’ai par exemple créé une chanson ; j’ai écrit et chanté cette chanson de manière sincère avec mon style sans chercher à prendre un ton enfantin. La chanson a été intégrée à la bande son sans aucune réticence de la part du public.

C’est pour toutes ces raisons que j’aime composer pour le théâtre. D’ailleurs, Je suis toujours surpris de voir à quel point une petite musique toute simple fabriquée dans ma chambre peut dégager grâce à la magie du théâtre des charges émotionnelles insoupçonnées. C’est probablement la raison pour laquelle, après plus de 25 ans de métier, j’éprouve toujours autant de plaisir à créer pour le spectacle vivant.

 

 

Article : Félix, aux sources obscures du conte par Laura Plas (Les Trois Coups)

 

 

 

Félix spectacle tout public à partir de 10 ans

Théâtre Dunois. 7 rue Louise Weiss Paris 13ème.

 

Représentations du 2 au 15 novembre 2021

Renseignements et réservations

Photo Ernesto Timor ©Amin Théâtre

Photo Ernesto Timor ©Amin Théâtre